1 de agosto de 2011

Une sorte d'animal à deux têtes

Tel à mes yeux est l'arabe. Une langue ? Deux langues ? Pour qui a lu les vieilles Antinomies linguistiques de Victor Henry, la question est oiseuse. Disons deux états d'une même langue, assez différents pour que la connaissance de l'un n'implique pas, absolument pas, la connaissance de l'autre; assez semblables pour que la connaissance de l'un facilite considérablement l'acquisition de l'autre. En tout état, un instrument pour l'expression de la pensée qui choque étrangement les habitudes d'esprit occidentales; une sorte d'animal à deux têtes, et quelles têtes! que les programmes scolaires ne savent trop comment traiter, car ils ne sont pas faits pour héberger les monstres. On conclura peut-être que le premier responsable de la crise de l'arabe, c'est l'arabe. […]

Là où deux peuples parlant deux langues vivent côte à côte et se mêlent étroitement, si l'un conçoit, ordonne et distribue des salaires et que l'autre exécute, obéit et vit de ces salaires, il faut s'attendre à ce qu'à la longue les dirigés, les salariés, trouvent plus d'intérêt et soient plus portés à acquérir quelque usage de la langue des directeurs, des salariants, que ceux-ci à apprendre le parler de leurs subordonnés, de leurs employés. Il est sans doute fort utile pour certains français de l'Afrique du Nord d'avoir une pratique courante de l'arabe. Il est et sera plus utile pour beaucoup d'indigènes de parler peu ou prou le français (…) Et l'on conclura, je crois, que le deuxième responsable de la crise de l'arabe, c'est le français.
---William Marçais, "La diglossie arabe", L’Enseignement public. Revue pédagogique, CIV, n° 12 (1930), pp. 401-409 (409); CV (1931), pp. 20-39 (39), 120-133.

Volviendo a la cuestión de las lenguas como "baluartes hacia dentro", me ha parecido interesante esta cita de Marçais, quien era, según refiere Robert Laffitte en L'Algerianiste (36, 1986, p. 26), "l'homme qui a le mieux connu non seulement la langue mais aussi la psychologie des habitants du Maghreb", poblaciones "auxquelles l'atavisme et la religion ont donné une façon de penser souvent différente de la nôtre"; capaz de "s'exprimer avec autant d'aisance dans tous les dialectes arabes parlés au Maghreb de Tanger à Gabès" como en el de Sétif (سطيف), y al que García Gómez tenía, como recordaba en la entrada anterior, por "el hombre que mejor ha conocido el árabe en nuestro siglo" (el XX).
La connaissance que W. Marçais possédait des dialectes d'Afrique du Nord était telle qu'il distinguait, au premier contact avec ses étudiants musulmans, uniquement en les entendant parler, de quelle région ils étaient originaires. [...] Les gens du peuple, à Alger, admiraient qu'un Européen pût s'exprimer avec autant de facilité et de volubilité dans leur langue maternelle, et même les corriger quand ils employaient, au lieu d'un mot arabe, le mot français correspondant devenu courant dans la conversation journalière.
---M. Canard, "William Marçais (1872-1956)", Revue Africaine, 101 (1957), p. 427-432 (428-30).

Llámenme suspicaz, e incluso amante del análisis crítico del discurso, pero no puede ser casual que Marçais tratara al árabe de monstruo (y bicéfalo, ni siquiera bifronte) siendo el francés el que llevaba un siglo, desde el célebre abanicazo del dey de Argel, enseñándole las fauces. Según un informe sobre "le problème linguistique" redactado en Rabat el 20 de enero de 1931 y dirigido al Director General de Asuntos Indígenas:
L'Algérie oublie l'arabe, si elle l'a su. La Tunisie le voit perdre de l'importance. M. Marçais nous signalait l'an dernier un abaissement du niveau des études d'arabe à Tunis même, où, ne l'oublions pas, l'arabe est enseigné au Collège par des professeurs français. Le Maroc ne sait d'arabe que dans la mesure où nous l'enseignons. Il est donc inéluctable que le français se répande au détriment de l’arabe classique.
---Alain Messaoudi, "Origines et enjeux initiaux de l'agrégation d'arabe", Le centenaire de l'agrégation d'arabe, Versailles, 2008, 41-58 (52-3).

J. Desparmet, Enseignement de l'arabe dialectal d'après la méthode directe, Argel, 1907
Aunque bien es verdad que, en el discurso del célebre arabista, el monstruo sólo yergue sus cabezas ante los franceses:
Tenant leur droit de figurer aux programmes secondaires d'un incident heureux de notre expansion coloniale, les études d'arabe sont demeurées une spécialité coloniale, quelque chose d'excentrique, et d'un peu inorganique, aussi. Les instructions sur l'enseignement des langues vivantes établissent sans doute certains principes fondamentaux de méthode, dont les professeurs d'arabe ne sauraient s'écarter. Mais elles sont conçues dans l'ensemble pour l'enseignement de langues indo-européennes que l'on parle sensiblement comme on les écrit, et non, pour un idiome sémitique affligé d'une incurable diglossie. Les inspecteurs généraux n'entrent souvent aux classes d'arabe que pour avouer leur incompétence; ils renvoient les professeurs aux instructions générales, et leur conseillent, parfois, d'adopter une technologie grammaticale plus simple et moins ésotérique. Pas de programmes, pas de listes d'auteurs. En somme, les professeurs sont livrés à eux-mêmes. Chacun se débrouille, et fait à sa façon de son mieux, ne prenant conseil que de son expérience, s'il en a, et s'il n'en a pas, de sa bonne volonté. A cette anarchie fondamentale, la réforme de 1927* vient d'ajouter un certain désarroi. [...] Devront-ils continuer d'enseigner l'arabe parlé? Certains ne l'enseignent déjà plus. D'autres lui font une part, mais s'apprêtent à y renoncer. [...] Six années pour mettre les élèves en état de faire une version, un thème, une composition d'arabe écrit sans dictionnaire, c'est peu; mais obtenir le même résultat en quatre ans d'arabe seconde langue, c'est proprement un tour de force. [...] Un emploi judicieux implique le sacrifice de tout ce qui ne concourt pas au succès. On jettera donc résolument l'arabe parlé par-dessus bord et ceux de bacheliers qui n'auraient pas été à même de pratiquer l'arabe en dehors du lycée, ne sauraient demander ni l'heure, ni leur chemin dans la langue usuelle du pays.
---William Marçais, "L'arabe écrit et l'arabe parlé dans l'enseignement secondaire", Articles et conférences, 1961, p. 102  [L'Enseignement public, 1931, p. 121]. *Que suprimía la enseñanza del árabe hablado como materia aparte, que databa de 1905: cf. Dominique Caubet, "Réponse au texte de Francis Manzano: «Diglossie», dis-tu?", Cahiers de Sociolinguistique, 8 (2003), 67-77; quien sostiene que la noción de diglosia (de la que manifiesta, en mi opinión, tener una visión muy rígida) "est couramment utilisée pour venir au secours de la thèse de l'unicité de l'arabe" (p. 70).

Tal vez a la luz (o a la sombra) de esta representación alegórica del árabe se explique además "la condamnation explicite d'ouvrages dont la finalité n'était que didactique et qui se présentent comme de simples moyens d'apprendre l'arabe", que en opinión de Daniel Reig (Homo orientaliste, París, 1988, p. 128) subyace en una severa alusión de Marçais al raudal "des méthodes pratiques, des vocabulaires, des modèles de calligraphie arabe qui inonda de façon si fâcheuse pendant de longues années le domaine de l'orientalisme algérien" (desdén que tanto recuerda, por cierto, al de García Gómez para con los africanistas). Lo que es sorprendente, insiste Reig (p. 129-30):
C'est que l'orientalisme officiel représenté ici par William Marçais ait pu, avec le recul de presque un siècle [...] condamner des tentatives faites pour renouveler non pas peut-être la matière (arabe dit littéral et ou vulgaire) mais le regard jeté sur la langue arabe, puis la forme et enfin l'esprit d'une approche didactique dans des ouvrages dont la seule ambition était de faciliter la connaissance de l'arabe.
Para concluir así, de un modo no menos severo, que:
C'est probablement que le rapport que l'on entretenait avec l'arabe n'avait pas changé depuis de Sacy bien que l'environment dans lequel se pratiquait cette langue fût modifié. Plus exactement, si pour de Sacy l'arabe était traité in absentia parce qu'il ne pouvait, pour lui, en être autrement, ses seules références étant les livres du passé, pour les arabisants distingués de l'époque coloniale, par contre, l'arabe, parce que présent dans le peuple dominé et bien réel, ne pouvait être que «vulgaire». Dès lors il ne méritait pas que l'on s'en approchât, sauf pour en faire un objet d'études savantes et érudites, ce qui était une autre manière de lui redonner sa «distinction». Ce à quoi s'est justement appliqué William Marçais.
No hay por qué dudar de que el arabista de Rennes consiguió domeñar al monstruo... que él mismo había creado, aunque no siempre se deba dar crédito al testimonio de sus biógrafos: a decir de Alfred Merlin ("Notice sur la vie et les travaux de M. William Marçais, membre de l'Académie", Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 4, 1957, p. 402-411) dos estancias y "un mois d'exercise quotidien pour entendre parfaitement ses informateurs lorsqu'ils conversaient entre eux" habrían bastado a Marçais para recoger sus Textes arabes de Tanger (París, 1911). Pero en realidad, como explica el propio autor en el prólogo de la obra, a esas dos estancias (de un mes cada una: la primera en 1900 y la segunda en 1907) habría que añadir sus sesiones de conversación con cinco estudiantes tangerinos residentes en Argel a razón de "deux ou trois heures d'entretien presque chaque jour"... ¡durante cuatro años!, y finalmente no uno, sino "quatre mois d'exercise quotidien" para entender perfectamente a sus informadores, cuya lengua "profondément altérée" ni siquiera la entendía, más de una vez, el "entourage algérien" que Marçais, a modo de experimento, hacía asistir también a dichas sesiones.

Cómo no ver en ésta y otras semblanzas del arabista al heroico bestiario que, en un trasunto del discurso colonial, somete en la arena del circo a una lengua árabe bífida, animal y por tanto inenseñable. Con su tono acerbo, "violent, polémique, insultant même", Marçais no es el primero, pero sí el primer arabista, en hablar de diglosia árabe en términos despectivos. En 1928, Jean Psichari (Ψυχάρης), que había sido primer secretario general de la Ligue des Droits de l'Homme y, significativamente, yerno de Ernest Renan, publica un artículo en Mercure de France ("Un pays qui ne veut pas de sa langue") donde alerta del riesgo, por así decirlo, de arabización del griego (ápud Lambert-Félix Prudent, "Diglossie et interlecte", Langages, 15:61, 1981, p. 13-38, 16, para el que Psichari exhibe además "un racisme anti-asiatique d'une violence extrême"):
La diglossie porte sur le système grammatical tout entier. Il y a deux façons de décliner, deux façons de conjuguer, deux façons de prononcer; en un mot, il y a deux langues, la langue parlée et la langue écrite, comme qui dirait l'arabe vulgaire et l'arabe littéral.
"Pour ce défenseur du démotique", en la expresión de Dominique Caubet (p. 68), "la situation de l'arabe est ce qu'il faut éviter pour la Grèce".

Quizá no esté de más apuntar, además, que el sentido original de διγλωσσία (cf. Mauro Fernández, "Leyenda e historia del término diglosia", en Luis Santos, Palabras, norma, discurso, Salamanca, 2005, p. 447-64), antes de que Roïdis (Ροΐδης), de quien lo toma Psichari, lo aplicara en 1885 a la situación del griego, era 'doblez', 'falsedad'. Como advierte Prudent, Marçais no hará en 1930 la menor referencia ni a Roïdis ni a Psichari, y tampoco a Hubert Pernot, discípulo de este último, cuya Grammaire grecque moderne de 1897 contiene la que puede considerarse primera definición del término. Para Pernot, según reza veinte años después el prefacio de otra obra suya:
La «diglossie» ou dualité de langues est l'obstacle principal auquel se heurtent non seulement les étrangers qui s'initient au grec moderne, mais aussi les Grecs, dès leurs études primaires.
Salvo que, en él, ni semejante "complication pédagogique" es resultado de la "ferocité asiatique" ni hace del griego una bestia de dos cabezas.

2 comentarios :

YGQ dijo...

Merci pour ces chroniques linguistiques passionnantes ! (Mais qui me donnent l'impression que l'espagnol, pardon le castillan ;-) est presque aussi difficile que l'arabe !) La question de la langue n'a pas fini de faire couler d'encre... Ramadan karim!

Anís del moro dijo...

Merci à toi de les lire, Yves. C'est toujours un plaisir d'avoir des lecteurs si passionés ! Je n'y ai jamais pensé mais il se peut que mon espagnol (qui est moitié castillan, moitié andalou) soit en train de « se compliquer » aussi du fait de côtoyer ce monstre bicéphale ! Puis il faut dire qu'ici en Espagne, malheureusement, ces questions, plutôt que de faire couler de l'encre, restent un peu lettre morte...

رمضان مبارك سعيد!‏

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